Biographies de Cagliostro
Cagliostro a laissé un souvenir où l’histoire se
mêle à la légende. Admiré ou décrié, suivi ou rejeté,
il demeure pour le plus grand nombre, un personnage
énigmatique. Mais le chercheur indépendant, capable
de jauger les êtres et les évènements avec une conscience
libérée, découvre un personnage tout autre.
C’est dans cet esprit que nous avons essayé de comprendre
la vie particulièrement riche et complexe du personnage.
Cagliostro a inspiré de nombreux artistes et écrivains.
Les portraits gravés et dessinés qui le représentent
abondent. Le statuaire Houdon ( de la Loge Les Neuf
Sœurs) auteur du célèbre buste de Voltaire, a sculpté
un magnifique portrait du mage.
L’extraordinaire destinée de Cagliostro a donné lieu
à une prolifération de récits, de romans, de pièces
de théâtre. Prés de trois cent volumes s’occupent plus
ou moins exclusivement de Cagliostro. Certaines biographies
méritent de retenir l’attention.
Celle de Ribadeau-Dumas, éditée chez Arthaud (Paris),
fait siennes les conclusions de l’étude publiée sur
Cagliostro et Catherine II, en 1947, par Wilfreid René
Dhéttéoui. Celle de Constantin Photidadès (« Les Vies
de Cagliostro », éditée en 1932 chez Grasset) et la
même année le panégyrique du docteur Marc Haven, héritier
spirituel, en quelque sorte, de Cagliostro.
Plus prés de nous, avec « Joseph Balsamo alias Cagliostro
» (Genève, 1975) le journaliste Raymond Silva retrace
avec impartialité l’existence tourmentée du personnage.
L’écrivain milanais Pier Capra a consacré à « Cagliostro
il Taumaturgo » (ed. M.E.B., Turin, 1979) huit années
de recherches. Il le considère comme le prophète de
la chute du pouvoir temporel de l’Eglise catholique
romaine. Il tente d’élucider le mystère de son origine
et de sa fin.
« Le comte de Cagliostro » de Denyse Dalbian
(Robert Laffont, 1983) du CNRS, marque une étape sur
la voie menant à une meilleure connaissance du thaumaturge
à partir de sources nouvelles.
Les détracteurs ne manquent pas. Parmi les plus illustres
: Thomas Carlyle (1795-1881), essayiste écossais, écrivit
un pamphlet : « Le comte Cagliostro », d’une incroyable
méchanceté, directement inspiré du condensé anonyme
tiré des cartons de l’Inquisition, rédigé on l’a su
plus tard, par le jésuite Marcello.
L’illustre Franc-maçon Goethe s’est inspiré de la
même source et a lâchement répudié son « frère initié
» Cagliostro, de peur d’être assimilé au condamné que
l’on représentait comme le « grand illusionniste » de
la maçonnerie. Il fit jouer à Weimar en 1782 un pièce
burlesque, « Le Grand Cophte », comédie en cinq actes
qui accable de sarcasmes le thaumaturge, sous le nom
de comte Rostro. Plus tard il se rendit incognito à
Palerme pour y rechercher les origines de celui qui
fascinait en dépit des apparences. Il fut touché par
la simplicité et la noblesse de la mamma de Cagliostro.
Cagliostro inspira à l’Impératrice Catherine II,
trois pièces satiriques dont l’une « Le Trompeur » (Obmanchtchik)
fut représentée pour la première fois à l’Ermitage le
4 janvier 1786 et montre Cagliostro sous le nom grotesque
de Kalifalkgerston.
Schiller lui dédia son roman inachevé Der Geistersher
(Le Spirite).
Gérard de Nerval a suivi Goethe dans la moquerie.
Son Cagliostro (« Les Illuminés ») est de pure imagination.
Alexandre Dumas, père et fils, lui ont consacré quatre
romans, tous marqués de la plus extravagante fantaisie
: Joseph Balsamo, Mémoires d’un Médecin, Le Collier
de la Reine, La Prise de la Bastille. Ces ouvrages fourmillent
d’inexactitudes mais sont plaisants à lire.
Parmi les hommages rendus à Cagliostro, il faut citer
celui, combien émouvant, de Mozart dans son Opéra «
La Flûte Enchantée », créé à Vienne le 30 septembre
1791. Le personnage central Sarastro, le grand prêtre
vénéré de ses disciples, c’est Cagliostro. Mozart, maçon
notoire, célébrait par sa composition musicale, chargée
de tendresse, la gloire de Cagliostro.
Un jeune écrivain, Clementino Vanneti, membre de
l’Académie locale de Rovereto où Cagliostro séjourna
en 1788, étudia avec admiration la personnalité du mage,
prit des notes, consigna des faits, des anecdotes, des
traits. Il les assembla sous le titre « Liber memorialis
de Cagliostro », rédigé en latin. Ces notes ont été
traduites et éditées par Marc Haven sous le titre «
L’Evangile de Cagliostro ».
Il semblerait ardu de prime abord de porter un jugement
sur une personnalité déconcertante qui a joué successivement
différents rôles, si bien que le mystique comte de Cagliostro
cesse à un moment d’être l’équivoque Joseph Balsamo
de son adolescence.
L’érudition n’est pas la Connaissance. Chercher à
donner à tout prix une explication « scientifique »,
matérialiste, au moindre fait, vouloir découvrir (selon
le mot de Cagliostro lui-même) le « pourquoi du pourquoi
», entraîne des contradictions, engendre une œuvre de
destruction. Jugée suivant les normes du profane conditionné
par un cartésianisme stérilisant, la figure de Cagliostro
est incompréhensible. Aucune philosophie n’est capable
de la situer. D’ailleurs, tous ceux qui pensent, sentent
ou agissent suivant une compréhension supérieure, non
conditionnée, soulèvent le plus souvent l’opposition
et la haine.
Il y a un demi-siècle, un rosicrucien anglais, B.
Dowd, s’indignait que l’on ait pu confondre le « charlatan
» Joseph Balsamo avec l’Initié Cagliostro. Cette identification
est cependant exacte. Aux preuves apportées par divers
auteurs, il faut ajouter un témoignage que chacun peut
vérifier dans les Documents historiques, publiés par
Charavay.
Il s’agit d’une lettre de recommandation du cardinal
de Rohan à l’archevêque de Lyon, sur la première de
laquelle on peut lire cette mention de la main de Cagliostro,
pour donner peut-être plus de poids à l’intervention
du cardinal : Io Giusepe Balsamo (« Moi, Joseph Balsamo
»).
Cette
assimilation ne porte en fait aucun atteinte au mérite
de Cagliostro, s’il est vrai que le mérite d’un homme
représente le solde qui s’inscrit à son actif quand
on fait le calcul des ses bonnes et mauvaises actions,
sur le plan matériel, aussi bien que sur les autres
plans.
L’assimilation
Cagliostro-Balsamo entraîne en revanche la justification
de nom sous lequel il s’est fait connaître. Les relations
avec l’Ordre de Malte se trouvent du même coup éclaircies.
Sa famille comptait en effet parmi ses membres Giovano
Balsamo, Grand Prieur de Malte. Par sa mère, née Félice
Bracconieri, il tenait à la famille des Cagliostro,
originaire de Messine. Le frère de sa mère, Giuseppe
Cagliostro, fut administrateur des biens du Prince Villafranca,
et c’est en héritant de lui que Joseph Balsamo ajouta
à son nom celui de son oncle.
Les armoiries des Bracconieri et des Balsamo sont
connues : Ecu italien semi-parti et coupé : I d’or à
un oiseau de sable (la caille, caglia) 2 de gueules
plein, 3 d’azur plein, surmonté d’une couronne comtale.
(Cf. note publiée par le marquis Sommi Piacenardi dans
la « Rivista di scienze storiche » Juin 1905).
De toute la littérature qui prit naissance vers 1785
autour de la personne de Cagliostro, à l’occasion de
l’affaire du collier, on ne peut tenir compte qu’avec
circonspection. D’autre part, le petit livre sur la
vie Joseph Balsamo : Compendio della vita e delle geste
di Giuseppe Balsamo… publié par la Chambre apostolique
en 1791 et sur lequel se fondent la plupart des auteurs,
est empreint de l’esprit de haine qui a guidé son rédacteur,
le Père Jésuite Marcello. Les archives relatives au
procès de Cagliostro ont disparu de la Vaticane. Le
naturaliste Ramon de Carbonnières qui fut à Saverne,
le préparateur de Cagliostro et lui resta par la suite
dévoué, préféra ne pas laisser de mémoires. A la veille
de sa mort, il confia à l’un de ses vieux amis, qu’il
avait brûlé la chronique des miracles de Cagliostro
:
« J’ai crains qu’après sa mort quelque imagination
inflammable ne vînt à extravaguer sur tout ce merveilleux,
et que mon procès-verbal ne devînt l’évangile de quelque
nouvelle religion : or, des religions de toutes couleurs
nous en avons assez ce me semble… »
Le baron Ramon de Carbonnières traduisait ainsi la
pensée secrète de Cagliostro qui travaillait (à l’exemple
de tout Adepte) pour aider à l’évolution et à l’éveil
des âmes et non pour contribuer à la dispersion des
croyances au détriment de leur plus haute unité.
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